Dans un contexte de prise de conscience des enjeux environnementaux, les établissements de santé sont de plus en plus incités à intégrer ces préoccupations dans leurs processus d’achats. À l’horizon 2026, cette prise en compte deviendra une obligation réglementaire pour les hôpitaux publics et les ESPIC, conformément au décret n°2021-254 du 9 mars 2021. Ce dernier impose en effet l’intégration de critères environnementaux dans les marchés publics.
Pourtant, à l’heure actuelle, les enjeux écologiques restent encore peu pris en compte dans les décisions d’achat en milieu hospitalier. Une des principales raisons réside dans l’absence de méthodologie standardisée, quantitative, reproductible pour tous les dispositifs médicaux. C’est pour répondre à cette problématique que le service biomédical de l’Institut Mutualiste Montsouris (IMM) a intégré une Analyse du Cycle de Vie (ACV) à une analyse du Coût Global de Possession (TCO) dans le cadre du renouvellement des dispositifs de monitorage du service de Réanimation et d’USC.
L’objectif de cette démarche est de ne plus se limiter à une évaluation purement économique des dispositifs médicaux, mais d’intégrer également leur impact environnemental, de leur fabrication jusqu’à leur fin de vie.
Méthodologie
Pour cette étude, cinq fournisseurs ont été sollicités : Dräger, General Electric, Mindray, Nihon Kohden et Philips. Toutefois, en raison de difficultés à obtenir des données exploitables, seule une ACV complète a pu être menée pour Mindray et Nihon Kohden.
L’analyse environnementale repose sur une ACV dite « cradle to grave », prenant en compte l’ensemble du cycle de vie des équipements : extraction des matières premières, fabrication, transport, processus d’achat, utilisation, maintenance et fin de vie.
Pour ce faire, deux jeux de données ont été utilisé. D’abord, des données techniques et logistiques fournies par les constructeurs, concernant l’ensemble des équipements nécessaires au fonctionnement des dispositifs de monitorage. Ensuite, ces données ont été associées à des facteurs d’émission (FE) issus de la base ADEME, afin d’estimer en équivalent CO₂ les émissions générées.
Fabrication :
Les émissions liées à la fabrication des dispositifs médicaux, accessoires, consommables et batteries ont été calculées en combinant la masse des matériaux utilisés avec les FE correspondants :
Étant donné que la majorité des fabrications sont réalisées en Asie, l’incertitude liée à l’utilisation, faute de mieux, de FE européens a été limitée par l’ajout des émissions liées au transport des matières premières jusqu’au site de production.
Une méthode similaire a été appliquée pour les emballages, en tenant compte des matériaux utilisés.
Transport :
L’impact carbone lié au transport des équipements depuis les sites de production jusqu’à l’IMM a été évalué selon le mode de transport (maritime, aérien, routier), la distance parcourue et le poids transporté :
Utilisation et maintenance :
Concernant la phase d’utilisation, les émissions ont été estimées sur la base d’hypothèses de fonctionnement. En s’appuyant sur les taux d’occupation en Réanimation et en USC, on estime que 75,64 % des appareils sont en fonctionnement permanent, contre 24,46 % en veille. Ces proportions ont été combinées à la consommation électrique des équipements, la durée d’utilisation, ainsi qu’au FE lié à l’électricité en France.
Fin de vie :
Les déchets issus des dispositifs (DM, accessoires, batteries, emballages) ont été classés dans deux catégories : Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques (DEEE) et Déchets Assimilés aux Ordures Ménagères (DAOM), chacun associé à des FE spécifiques. Les batteries et les emballages ont fait l’objet d’un traitement séparé, en raison de données plus précises disponibles.
Enfin, l’analyse a également intégré des postes secondaires comme le transport des équipes techniques, la documentation, ou encore l’activité administrative.
Conclusion
Cette étude ACV appliquée aux dispositifs médicaux a mis en lumière plusieurs obstacles. Tout d’abord, l’ACV reste encore peu répandue dans le domaine du biomédical, ce qui a entraîné des difficultés à obtenir des données fiables et exploitables de la part des fournisseurs. Par ailleurs, les données reçues sont souvent déclaratives, sans qu’il soit possible de vérifier leur véracité et fiabilité.
Une autre difficulté rencontrée lors de cette étude concerne la qualité et le niveau de détail des informations fournies par les sociétés. Il est apparu que certains fournisseurs ne renseignaient pas dans leur intégralité les composants entrant dans la fabrication des dispositifs médicaux, nous obligeant à émettre des hypothèses afin de pallier le manque de données.
Enfin, même les FE utilisés, bien qu’issus d’une base reconnue comme celle de l’ADEME, peuvent présenter des incertitudes importantes, parfois égales à 100 %, ce qui fragilise la rigueur de l’analyse.
Malgré ses limites, cette étude menée par l’IMM constitue une première étape importante dans l’intégration des critères environnementaux aux processus d’achat hospitalier. Elle met en évidence la nécessité d’outils plus robustes, de données plus fiables, et d’une méthodologie standardisée.
À l’avenir, il serait souhaitable que des structures de référence, comme l’Association Française des Ingénieurs Biomédicaux (AFIB), prennent le relais afin de développer une méthode applicable à tous les dispositifs médicaux, quelle que soit leur nature. De même, l’enrichissement des bases de données relatives aux FE sera essentiel pour renforcer la pertinence de ces analyses dans le secteur de la santé.